Alors que dans les années 90 apparaît un intérêt pour les problématiques de violences au travail, les actions du CES (Conseil Économique et Social) se limitent à la violence venant de personnes extérieures à l'entreprise (clients ou usagers). Pourtant, bon nombre de travailleur.ses souffrent au quotidien de violences présentes au sein même des collectifs de travail.
En 1996, Heinz Leymann répertorie un grand nombre de comportements caractéristiques du harceleur que l'on connaît aujourd'hui sous le nom des « 45 agissements de Leymann ».
Mais c'est en 1998 que la communauté scientifique va véritablement s'emparer de la question avec la publication du livre de Marie-France Hirigoyen Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien. S'ensuit en 2001 la publication de Malaise dans le travail, harcèlement moral, demêler le vrai du faux qui traite cette fois-ci du harcèlement dans le monde du travail, un sujet qui reste encore tabou dans les entreprises.
Sorti en 2011 et réédité en avril 2022, l'ouvrage de Pascale Desrumaux a la spécificité d'aborder la problématique du HMT (harcèlement moral au travail) sous l'angle à la fois psychosocial, organisationnel et clinique. Il a été une lecture fondamentale pour moi et je le recommande à tous les étudiants, qu'ils soient en licence ou en master de psychologie du travail. Ce livre propose et combine différentes pistes d'explication de la survenue et du maitien du HMT.
Si la victimologie s'intéresse aux caractéristiques individuelles des personnes harcelées et harceleuses, la psychologie sociale cible quant à elle les théories justificatrices du harcèlement comme la théorie du monde juste, l'erreur fondamentale d'attribution ou encore la théorie du bouc émissaire. La psychologie du travail met en cause les formes de management et la culture de l'entreprise qui véhicule plus ou moins implicitement les théories énoncées ci-dessus.
Un chapitre de cet ouvrage est également dédié à la façon dont les personnes jugent les situations de harcèlement. Les recherches réalisées dans ce domaine visent une meilleure compréhension du phénomène de HMT, phénomène caractérisé par sa fréquence et sa durée (agissements répétitifs et réguliers). Elles tentent de répondre à la question : Pourquoi personne n'a-t-il réagi pendant tout ce temps ?
Du côté de la victime, le harceleur est perçu comme un être foncièrement méchant et nuisible tandis que du côté du harceleur, on ne retrouve pas nécessairement la conscience de harceler l'autre. Le harceleur peut admettre que l'autre puisse se sentir harcelé sans toutefois reconnaître qu'il y a bel et bien harcèlement.
Quant aux témoins ou personnes extérieures à qui l'on demande de juger d'une situation de harcèlement, ces derniers ont tendance à rendre presque aussi responsables la victime que le harceleur. La victime serait d'ailleurs perçue comme d'autant plus responsable qu'elle s'est déjà faite harcelée par le passé (survictimation). Ainsi, même si les jugements d'équité révèlent la perception d'une injustice, tout se passe comme si les témoins cherchaient à justifier cette situation inacceptable en responsabilisant la ou les victimes. En fait, les témoins cherchent à se protéger en mettant de la distance mais aussi à se déculpabiliser de fermer les yeux sur de telles situations. C'est ainsi que peur et silence sont fondamentales dans le processus de maintien du HMT.
Si personne ne fait rien, le harcèlement peut avoir des conséquences terribles sur la santé du travailleur et sur l'organisation, d'où la nécessité de mettre en place des politiques de prévention des risques psychosociaux au sein de l'entreprise. L'ouvrage de Pascale Desrumaux nous montre que négliger l'aspect humain de l'organisation ne pourra jamais améliorer la productivité de façon pérenne. C'est au contraire en plaçant l'humain au centre et en veillant au bien-être des salarié.e.s que l'entreprise développera sa productivité et son attractivité.